Ce "Je ne sais quoi"
CE "JE NE SAIS QUOI"
La peinture appartient au domaine de la sensibilité. Elle vient de l’intérieur et doit aller à l’essentiel. La raison lui est totalement étrangère.
Une peinture est un « objet incarné », la matière déposée sur la toile doit s’y sublimer. Cette métamorphose permet au tableau de créer son espace propre intérieur, autonome, pictural. Alors, à cette condition, il existe réellement.
Dans la peinture, il n’y a que des relations; la lumière, la forme ne naissent qu’à travers des rapports, même une couleur est inséparable des formes, des relations et des autres couleurs qui organisent la toile.
Un tableau dépeint une réalité ineffable, plus il est inintelligible, meilleur il est.
Le tableau achevé dégage une espèce d’évidence. Il ne s’agit plus de représentation. « Je ne représente pas, je présente, je ne dépeins pas comme certaines peintures figuratives, je peins ». Soulages
Peindre pour communiquer .
Une autre forme de communication s’instaure : non verbale. La peinture n’a rien à voir avec la pensée consciente.
Ma peinture est abstraite, informelle, non figurative. C’est une interrogation sur le processus de création picturale. Mon intérêt se porte sur l’expérimentation des possibilités de la peinture : Comment peindre aujourd’hui ? Pour qui ? Comment déceler sa singularité ?
C’est en même temps une recherche permanente pour tenter de comprendre ce qui se passe en moi et autour de moi.
Que dois-je peindre et comment dois-je peindre ?
Ces deux questions sont très liées, je crois qu’il faut commencer par le « comment » donc par la technique , utiliser les propriétés physiques des pigments – les différentes façons d’appliquer de la peinture sur une toile , utiliser le couteau la truelle, la brosse pour la différence d’effet obtenu, combiner l’ensemble de ces techniques, exploiter toute cette potentialité en tenant compte du dessein qui est de ne rien forcer, et de laisser le tableau se développer au fur et à mesure.
Le regard des autres.
Quand on peint, on est seul, mais la vocation d’un tableau est d’être vu et donc implicitement d’être critiqué. Cela dit l’importance que j’attache au jugement du public dépend précisément du public. Aux yeux de certains, mes tableaux ne sont rien d’autre que des rectangles peints qu’un enfant de 5 ans pourrait réaliser. Ils passent à côté sans les regarder. Cela ne m’affecte pas vraiment. À partir du moment ou mes tableaux sont appréciés par certains, mon dessein ( !) est atteint.
C’est extra-ordinaire quand une forme de communication s’établit avec un spectateur, c’est un peu comme si la charge émotive, les differents états d’âme qui m’ont permis de peindre le tableau l’avaient imprégné,et devenaient perceptibles par un autre.
Il est toujours difficile de parler de sa peinture, mais je sais ce que je recherche et comment je procède.
Lorsque je commence une toile, je n’ai aucune idée préconçue de ce que je vais peindre. Si je pars avec une idée en tête, je n’arrive pas à dépasser le stade de l’illustration. Pendant que je peins ma pensée consciente doit être absente.
La toile vierge a quelque chose de terrifiant, il faut se l’approprier, combler le vide, accepter de prendre le risque de remplacer le néant.
Alors concrètement je débute en recouvrant la toile de pigment, au hasard. Progressivement les structures, les formes, et les couleurs, qui naissent vont se répondre les unes aux autres et éveiller ma sensibilité. C’est ce que je ressens au moment où je peins qui va me diriger. Ce dialogue improbable entre la toile et moi se renforce au fur et à mesure que le tableau s’échafaude.Je reprends mes toiles par passages successifs, en détruisant partiellement où en rajoutant des éléments qui affectent la composition dans son ensemble, je me sers du hasard , naître une forme. Cette forme aléatoire, qui recouvre partiellement ce qui existe déjà, détruit mes constructions et génère de nouvelles situations. La prise en compte de l’impact de mon action sur la toile me force à réagir, à sortir de mon confort . Mon travail consiste alors à corriger cet « accident » en choisissant ce qui doit être gardé et ce qui doit être soustrait, à le guider pour qu’il s’intègre au tableau. Je cherche à ajouter de la multiciplicité par tous les moyens possibles par phases, par strates, jusqu’à ce qu’apparaisse une image, que je n’imaginais même pas auparavant et qui me surpasse. Mon tableau est terminé quand j’ai l’impression qu’il n’y a plus rien à y ajouter.
Le tableau doit se révéler au fur et à mesure. Il ne suffit pas de produire n’importe quel résultat avec rigueur. Il y a une exigence qui dépasse la simple conformité à une technique.
Peindre un tableau dont je ne sais rien, laisser venir les choses au lieu de les contraindre. C’est une quête incertaine. Dans cette recherche, le tableau se développe à partir de ses propres contradictions. Plus ce qui naît est complexe, plus ses qualités sont utilisables. La finalité étant de créer un objet qui me surpasse pour s’approcher de l’essentiel.
Comment les voir ? Les images doivent vous remémorer des expériences affectives ou sensorielles. Je ne crois pas que la peinture puisse fonctionner sur un mode différent. La peinture abstraite donne des possibilités supplémentaires pour concevoir l’imperceptible et l’inintelligible. Le catalyseur de ce potentiel est probablement l’angoisse dans laquelle nous plonge l’inconnu. L’Homme a toujours tendance à rationaliser ce qui l’entoure. Notre cerveau est tellement habitué à formaliser, que confronté à une peinture abstraite, il va d’abord chercher à « reconnaître » et à «nommer» ce qu’il voit. Cependant si le tableau est réellement complexe et l’œil du spectateur suffisamment averti, le stade de la simple identification peut être dépassé, le tableau pourra alors être aborde comme une possibilité de rendre l’invisible, l’inexplicable un peu plus intuitivement perceptible. La représentation d’un objet identifiable anéantirait le système.
Je ne donne pas de titre à mes peintures pour ne pas contraindre le spectateur, je le laisse libre de se faire sa propre idée et de définir plus précisément ce qu’il convient de voir
Le sujet
La figuration part d’un sujet qui doit devenir image, pour la peinture abstraite le processus est inversé le « sujet », se développe pendant le travail.
La composition
La composition à partir de différentes structures, proportions, formes, couleurs sans aucune référence immédiate à la nature devient un système abstrait qui possède sa logique interne.
La couleur
Mon rapport à la couleur est moins libre que ma relation à la ligne, à la composition, et à la structure du tableau. L’harmonie des couleurs reste un élément central de ma démarche, je cherche à obtenir un accord chromatique défini qui suscitera les émotions. Les caractéristiques chimiques de la peinture à l’huile et les contraintes qu’elles engendrent rendent l’introduction de l’aléa dans le choix des couleurs très difficile à concilier avec ma technique de composition : certains mélanges ne peuvent pas fonctionner. Sans doute y a t il là une marge de liberté à exploiter.
Les entailles
Ces arrachements, ces « strates» qui occupent mes toiles sont l’expression de la recherche violente d’une libération. En outre ils me permettent d’exprimer un contenu totalement différent.
Ma peinture n’a rien à voir avec la virtuosité, elle relève uniquement de la capacité à voir et à décider ce qui doit être préservé.
Peut-on encore parler de composition ?
Il y a forcément une forme de composition sinon cela ne ressemblerait à rien d’autre qu’à un pur désordre. Quand je juxtapose une « forme-couleur » à une autre, la seconde se réfère à la première. Cependant ces relations sont structurées à partir de lois très différentes des règles classiques de composition. Je cherche à supprimer au maximum l’ordonnance et les relations traditionnelles sans aucun ménagement ni scrupule envers les valeurs artistiques classiques.
L’implication du hasard n’induit pas une absence totale de structure. La relation qui s’instaure entre les différents éléments du tableau se renforce et se complexifie graduellement. Pour finir, la « composition » parvient à un équilibre qui est le contraire de l’aléatoire.
Tout ce processus d’application de la couleur, de destruction, de superposition, couche par couche est précisément au service d’une orchestration subtile pour réaliser un tableau. Je suis la voie qui a été ouverte par Gerhard Richter pour tenter de participer à « l’élaboration d’un nouvel alphabet ».
Le rôle joué par le hasard.
Le hasard a un rôle essentiel. Cette dépendance est souvent frustrante ; progresser d’une façon linéaire serait tellement plus confortable, mais la réalité est différente. La peinture est un cheminement plein de détours, le tableau apparaît furtivement pour disparaître l’instant d’après et ne laisser place qu’à l’ordinaire.
Les premières couches de mes tableaux sont généralement très banales, je dois les détruire une à une jusqu’à ce que toute platitude facile soit recouverte. Au final j’ai donc une œuvre de destruction et je n’arrive pas à m’éviter ce détour.
L’ iceberg
L’inconscient a une importance cruciale dans mon processus créatif. Il me faut reprendre mon tableau jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose sur la toile, un phénomène auquel j’assiste, mais que je ne contrôle pas. C’est la raison pour laquelle je suis incapable de refaire une toile identique. Même si je me souviens des principales étapes concrètes qui ont permis son élaboration, il m’est tout à fait impossible de reproduire le processus quasiment inconscient qui l’a fait naître
Une démarche tournée vers l’expérimentation.
C’est une expérimentation sans entrave. Je m’autorise à faire tout ce que je m’interdisais auparavant.
Cette méthode de travail qui fait appel au hasard et utilise la destruction permet de réaliser un certain type d’image mais jamais un tableau prédéterminé. Chaque tableau doit se développer à partir d’une logique picturale et visuelle, et découler obligatoirement du travail. Ainsi, n’ayant aucune idée préconçue, j’espère pouvoir atteindre une forme d’objectivité harmonieuse, un résultat plus intéressant que ce que je pourrais imaginer consciemment.
Raclages
En raclant la peinture on bouleverse ce qui a été fait, on gratte comme pour dégager des images disparues et enfouies. C’est assez jubilatoire sur le moment mais c’est un geste agressif qui relève aussi de la blessure voire même de la frustration. Le résultat obtenu est plus complexe mais généralement inabouti. Alors je recommence et ainsi de suite jusqu’à cela me convienne. Puis tout paraît simple, le tableau semble facile à réaliser, comme si l’on pouvait le refaire en quelques heures. C ‘est malheureusement faux, à chaque fois il me faut parcourir ce même cheminement compliqué.
Toute tentative de construction réfléchie d’un tableau est une erreur
D’une certaine manière c’est un constat d’impuissance, mais il faut accepter de ne pas peindre au sens classique du terme. C’est un renoncement. Il faut assumer de s’oublier pour obtenir quelque chose qui vous dépasse.
Peindre est- ce un métier ?
Peut-être …
Une tentative d’aller au-delà de soi-même,
Une Finalité, un terme.